L'Orange Amère by Didier Van Cauwelaert

L'Orange Amère by Didier Van Cauwelaert

Auteur:Didier Van Cauwelaert [Didier Van Cauwelaert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


★

Le tigre se plut au château rose. Il dormait huit heures par jour et dix heures par nuit, près d’un radiateur électrique, dans un boudoir aménagé en forêt tropicale. Queen Mary, chargé de lui passer des musiques de jungle pour lui rappeler son enfance, s’attacha à lui et le rebaptisa Clemenceau. Le soir, l’animal descendait à la cuisine, pesamment, allait bâiller sur son assiette. Clémence lui écrasait son Whiskas à la fourchette en lui chantant la Lorelei, comme elle faisait jadis pour endormir Jeanne. Le tigre dodelinait en ronronnant.

L’après-midi, jusqu’à la fin de l’été, elle l’emmena se baigner au lac. La rive autour du débarcadère, en bas de son parc, étant trop abrupte, elle prenait la voiture et se rendait à la Voile d’Or.

— J’ai trouvé une plage déserte, disait-elle au vétérinaire qui venait examiner Clemenceau, à trois mètres de distance, tous les mercredis. Je ne sais pas pourquoi les gens vont s’entasser sur les autres plages, alors qu’il n’y a personne autour de nous.

— L’instinct grégaire, disait le vétérinaire, qui lançait une pilule au tigre et repartait vite.

Clémence, que la présence de son fauve endormi et la langue allemande rendaient amène, donnait des soirées, à présent. Elle invitait Mac-Bugnard le restaurateur-rapide, Mlle Maurice de la station Shell, Mlle Drumettaz la bigote de l’harmonium et un inconnu, en général un vacancier du camping de l’EDF, à qui elle réservait la « place du pauvre », tradition familiale avec laquelle elle renouait, pour le plaisir de gêner la conversation. Ses convives n’étaient pas là pour parler.

Dans le vestibule, le jardinier leur distribuait des baguettes.

— On dîne chinois ? s’était enquise Mlle Maurice, le premier soir.

— Non, c’est pour le tigre.

Clemenceau, peureux à cause de son odorat mort et de sa demi-cécité, tressaillait au contact des étrangers, ce qui était mauvais pour son cœur, avait dit le docteur. Aussi les invités, susceptibles de le rencontrer dans leurs déplacements, étaient-ils conviés à taper contre les murs et les portes avec leurs baguettes, pour signaler leur présence.

Les dîners, dans la salle à manger ronde au plafond de soie rose, étaient sinistres et muets, le menu invariable, les convives identiques, à l’exception du « pauvre ». Chacun fixait son assiette de soupe à l’œuf, pour ne pas voir les œillades onctueuses que la pompiste empourprée dispensait au campeur. La lumière avare des chandeliers enfonçait l’ambiance dans un embarras que la marquise jugeait propice à la concentration. Ses invités souffraient le martyre et digéraient mal, attrapaient des boutons à cause de la choucroute en boîte qui suivait la soupe à l’œuf, mais revenaient chaque soir, à huit heures trente, avec des ballotins de chocolats que Clémence ne servait jamais, les oubliant dans l’entrée, sur la tablette du radiateur. Mlle Drumettaz reprenait le sien discrètement, en partant, le laissait dix heures au réfrigérateur et le rapportait le lendemain. Le ballotin entrait dans son deuxième mois.

Après le dessert, un yaourt, on passait dans la bibliothèque, où le jardinier avait allumé trois bougies et fait brûler de l’encens. On s’asseyait autour d’un guéridon.



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